Dix ans déjà, des centaines de concerts au compteur et un nouvel album pour fêter l’évènement. Mr. H ne voit pas le temps passer et n’a pas envie d’arrêter.
Blues Again : Le trio fête ses 10 ans, quel bilan fais-tu de cette décennie ?
Mr. Hardearly : Comme je le dis souvent : je ne suis pas riche financièrement mais je suis riche humainement. Le public et les professionnels nous ont tellement apporté de bonnes vibrations et beaucoup d’énergie aussi que je n’ai pas vu passer le temps.
Y a-t-il eu des regrets au cours de ces 10 années ?
D’avoir parfois perdu mon temps avec des gens qui n’en valaient pas la peine. Ça nous arrive à tous et c’est ce qui nous fait murir et nous endurcit. Je sais maintenant exactement où je veux aller et avec qui. Enfin je crois.
Tu tournes pas mal, combien de concerts fais-tu par an ?
On a la chance de faire une soixantaine de concerts par an et ce depuis plusieurs années déjà. Le public et les programmateurs nous suivent et c’est très flatteur pour nous.
Après dix ans sur le circuit est-ce plus facile ou toujours aussi délicat pour décrocher des contrats et des lieux où se produire ?
Je ne te cache pas que trouver des dates est de plus en plus dur malgré une notoriété qui s’élargit. Le plan Vigipirate et le durcissement des consignes de sécurité ont fait beaucoup de mal aux organisateurs. Et puis malheureusement, il y a toujours des endroits qui ferment faute de fréquentation et d’autres qui n’ont plus que le budget pour accueillir des groupes amateurs. Nous sommes vraiment chanceux d’avoir autant de dates chaque année.
Le plus beau souvenir ou le plus cocasse (ou les deux) ?
Le plus beau souvenir, c’est quelqu’un qui est venu me voir après un concert il y a quelques années et qui m’a dit texto : « en venant ici j’avais envie de me foutre en l’air car je suis très malade et fatigué, mais ce soir j’ai entendu quelques notes qui m’ont redonné du courage et envie de me battre ». Je crois que c’est le plus beau compliment qu’on m’ait fait…
As-tu vu des changements majeurs dans le métier depuis tes débuts ?
Hoooo oui ! Le public consomme la musique live de manière différente. Les gens ne veulent plus un volume sonore élevé et sentir les vibrations dans leur corps (et les voisins non plus). Ils essayent de retrouver le confort qu’ils ont devant leur écran géant à regarder un DVD. Cela nous oblige à mettre plus d’énergie dans la musique et moins dans le volume sonore. Il y a 30 ans on pouvait jouer place de la Bastille (en plein Paris) à fond de volume jusqu’à 2 heures du matin. Aujourd’hui c’est impossible !
Présente-nous tes compagnons de jeu…
A la basse et aux chœurs, il y a Alain Gibert qui joue dans le groupe depuis 4/5 ans maintenant. Une pièce maîtresse. A la batterie Frédéric Rottier, un vieux briscard du métier qui assoit bien la rythmique et amène une bonne assise à notre musique. Ce sont eux que vous pouvez entendre sur notre dernier CD.
Ce nouvel album qui vient de paraître, comment est-il né ?
Il y a 12 titres (10 compos et 2 reprises). Nous avons choisi cette fois encore, d’enregistrer live dans mon studio El Grotto en région parisienne. Je m’y sens personnellement à l’aise, je connais bien le son et il me convient. J’y puise un son roots, blues, rock et funk à la fois. Il m’inspire pour composer, arranger et mixer les titres. Et puis il y a surtout tout mon matériel vintage dont je ne pourrais me passer pour enregistrer.
Il y a toujours une ou deux reprises sur tes disques, cette fois ce sont ‘Lazy’ de Deep Purple et ‘Little By Little’ de Junior Wells pourquoi justement ces deux-là ?
On a choisi de faire une reprise connue pour surprendre notre public et une autre beaucoup moins connue afin de titiller sa curiosité. J’ai grandi avec Deep Purple entre autres et ce groupe fait partie de mes racines. Pour la reprise de Junior Wells, j’ai entendu une version de ce titre par BB King et je me suis dit que j’aimerais bien faire ma propre version. Ça a été un flash.
Combien de temps as-tu mis pour venir à bout de cet album ?
Entre la composition, l’enregistrement et la finalisation (mixage, mastering, pochette…) il m’aura fallu entre 1 an et demi à 2 ans. Je laisse venir l’inspiration. Je ne suis pas quelqu’un de prolifique. Je n’ai pas le temps de maquetter 40 chansons pour n’en garder que 12 ou 13 au final. Alors j’essaie de laisser murir les idées dans ma tête et quand je pense en avoir une qui tient la route, je la maquette pour la proposer au groupe. Si j’oublie une chanson c’est qu’elle ne devait pas être assez bonne.
La composition ‘I’m A Bluesman’ qui a tous les attributs d’un standard a-t-elle été fixée rapidement ou a-t-elle demandé du temps à mûrir ?
J’avais l’idée du texte (I’m a Bluesman but a cool man understand) et je voulais un rythme assez boogie. Pour les 10 ans du groupe, je voulais rejouer du bottleneck sur scène et c’est la conjonction de ces 3 facteurs qui a donné cette chanson. Il a fallu que je rebosse le slide (que j’avais laissé de côté depuis plusieurs années) car il y a tellement de bons joueurs de bottleneck que je ne voulais pas être ridicule. Je l’avoue, j’ai piqué quelques plans à Johnny Winter (dont je suis un inconditionnel) mais aussi à Greg Allman et Warren Haynes. Puis j’ai fait mon mix perso de tout ça et vous pouvez écouter le résultat sur le CD.
Un invité spécial sur un titre, pourquoi lui et pourquoi sur ce titre ?
Je voulais avoir des invités sur le CD pour les 10 ans du groupe, alors j’ai invité plusieurs guitaristes et harmonicistes de renommée à intervenir sur l’album gracieusement mais beaucoup ne m’ont même pas répondu et les autres me demandaient d’être payés. Le premier à m’avoir répondu et à avoir accepté de venir jouer gratuitement a été Fred Chapellier. Puis Neal Black a également accepté mais l’enregistrement n’a pu se faire pour des raisons techniques et de planning. Next time Neal ! Fred a été très efficace sur ce titre et y a vraiment mis tout son talent. Un régal. Le texte parle de cette expérience et de l’esprit vénal de certains artistes d’où le titre ‘Hey Where’s The Money ?’
Sur certaines compositions tu complètes ton jeu de guitare par une intervention aux claviers, te sens-tu limité par moment par la formule du trio ?
Non, j’adore jouer en trio, cela fait tellement longtemps que ça fait partie de moi, de mon jeu. Mais en studio, parfois je me dis, tiens ici je mettrais bien un orgue Hammond ou une clavinette pour le groove. Alors comme mes potes claviéristes ne sont pas toujours dispos et souvent en tournée, et bien je m’y suis collé et ce depuis le premier CD de Hardearly. Mais ça reste des parties discrètes qui n’empiètent pas sur la guitare, elles amènent juste une petite coloration supplémentaire.
Comment t’est venue l’idée de cette chanson sur Caryl Chessman, serial killer américain de la fin des années 50 ?
Cette chanson a été enregistrée il y a 5 ou 6 ans. Il y avait la chanson de Nicolas Peyrac (tu vois le blues mène à tout) ‘So Far Away’ qui passait à la radio en voiture. Il y a 3 phrases qui m’ont interpellé : « Monsieur Caryl Chessman est mort/ Mais le doute subsiste encore/
Avait-il raison ou bien tort ? ». J’avais lu son livre étant ado et j’ai voulu faire une chanson sur la peine de mort. Je suis toujours surpris qu’aujourd’hui, dans certains états aux USA, la peine de mort continue d’exister car cette sanction est sans appel et ne donne pas le droit à l’erreur (et que les Américains soient toujours armés également !). Cette chanson parle de cela à travers Caryl Chessman qui a toujours nié avoir tué cette personne. Je l’avais gardée en réserve car elle ne correspondait pas au style des albums précédents. Et puis je suis retombé dessus il y a 2 ans et je me suis dit que ce serait le bon moment pour l’inclure dans le prochain CD.
Après ce nouvel album quel est ton prochain défi ?
J’ai déjà des projets pour 2019 avec Ze Music Tour mais chut, ne vendons pas la peau de l’ours… Sinon un de ces quatre, j’aimerais enregistrer un album acoustique, peut-être de reprises, à voir… Et puis il y a tellement de musiciens avec qui j’aimerais jouer que tu vois la retraite n’est pas pour tout de suite.
Tu disais il y a 2 ans : « J’aimerais ouvrir mes doigts à d’autres styles : le jazz, le manouche et pourquoi pas refaire un peu de métal fusion comme dans les années 80 ». Où en es-tu ?
Ha ha ha ! Nulle part. Manque de temps. Mr Hardearly me prend tout mon temps et toute mon énergie. Mais cela reste toujours dans un coin de ma tête. C’est marrant que tu te sois rappelé de cela. Peut-être que j’attends de recevoir une proposition de participation sur un album ou une production…
Es-tu toujours investi dans des activités de producteur ?
Oui mais pas autant qu’avant. Par manque de temps, je suis obligé de sélectionner les projets que l’on me propose car je n’aime pas m’engager et faire les choses à moitié par la suite. J’ai dernièrement mixé et masterisé le dernier album en concert de Tony Coleman (batteur de BB King entre autres) et j’en suis très fier. Il devrait sortir début 2019.
Penses-tu refaire une Nuit du Blues à Montmorency ?
Il y aurait dû y en avoir une cette année pour la sortie de l’album mais la municipalité où l’on avait l’habitude de l’organiser m’a planté au dernier moment ! (Sic). Alors peut-être en 2019. Quoi qu’il en soit vous pouvez toujours commander les DVD des nuits du Blues 2010 et 2017 ainsi que notre CD en concert de 2018 sur notre site www.hardearly.com pour patienter.
Quels sont tes projets pour les mois à venir ?
Tourner, tourner, tourner et faire la promo de notre excellent nouvel album. Et préparer l’année 2019 qui s’annonce (si tout va bien) déjà pas mal occupée.
Pour terminer, un petit quiz. En quelques mots, un commentaire sur 10 guitaristes que tu apprécies :
Gary Moore : J’adoooore, même sa période hard rock dans les ’80. J’ai été très triste de sa disparition prématurée c’est pourquoi j’ai écrit le titre ‘Gary’s Gone’ sur notre avant dernier opus
Jimi Hendrix : Un incontournable pour tout guitariste qui se respecte.
Jeff Beck : Un des derniers génies vivants de la guitare. Le maître !
Pat Metheny : Encore un génie vivant, j’adore sa manière d’aborder la mélodie et ses arrangements somptueux.
George Harrison : Un excellent guitariste, trop souvent sous-estimé, par rapport à Clapton notamment. Un compositeur hors pair également.
Keith Richards : Des riffs légendaires depuis des décennies.
Buddy Guy : Comme le bon vin, il se bonifie en vieillissant. Un classique.
Stevie Ray Vaughan : Parti trop tôt lui aussi. Une grosse influence pour moi depuis longtemps). Je lui ai piqué pas mal de truc (ou j’ai essayé du moins) au début où je faisais du blues.
Ritchie Blackmore : Un maitre es riffs. A 15 ans je me suis arraché les doigts sur quelques-uns de ses solos.
Joe Bonamassa : Le renouveau blues. Même si beaucoup de gens ne le considèrent pas comme un bluesman actuellement (comme Gary Moore en son temps), cela viendra, j’espère, avant sa mort. Un virtuose de la guitare (comme Eric Johnson).
Gilles Blampain – septembre 2018