Mr HARDEARLY – Redemption & Bad Habits

Rebel Music / Socadisc
**** Blues-Rock

Redemption & bad habits 2024

 

 

 

 

 

 

 

Sixième album en plus de quinze ans de carrière (du moins sous ce sobriquet) pour cet émule français revendiqué de maintes signatures historiques du blues-rock électrique à l’anglo-saxonne. De l’ombre lointaine des Yardbirds (la plage titulaire et introductive) à celles de Status Quo (“Good With My Lady”) et Black Sabbath (dont il reprend ici à la slide “Heaven And Hell”, doublant ses parties en harmonie), sans oublier les plus saillantes, Stevie Ray Vaughan (le fulgurant “Tightrope”) et Johnny Winter (le vindicatif “Sure You’re Still Around”), Mr Hardearly demeure fidèle à la formule du trio guitare-basse-batterie.

Si l’on peut le préférer en mode slow-blues mélodique (“You Got No Time”, “I Got Nothing But The Blues” et “Sending All My Love”, où il assume les influences croisées de Peter Green et Gary Moore) ou en Chicago-shuffle façon Luther Allison (“Looking For Love”), il sait en tout cas moduler judicieusement les registres (ainsi du funky “Before You Make Me Going Mad”, avec le renfort  des cuivres de Julien Duchet).

Parmi les originaux les plus convaincants, on signalera “Double Bum” (sous ascendant Wishbone Ash) et “Bad Sign” (bien qu’ouvertement démarqué du “Born Under A Bad Sign” de Booker T., pour rendre hommage à Albert King, avec à nouveau le soutien de cuivres, ainsi que de chœurs féminins) et le zydeco “Just Got Ten Stones From Le Havre”, sans oublier le vintage rock n’ roll à la Larry Williams “I’ll Be Killing You” (dans l’esprit de “Dizzy Miss Lizzy”).

Ce très bel album se referme sur le mélancolique instrumental aérien “The Miracle”, dédié à la mémoire du regretté Jeff Beck. Bien joué, once again, Mr Hardearly!

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

 

Mr Hardearly
ecrit par Fred Delforge

Redemption & bad habits
(Rebel Music – Brennus – 2024)
Durée 55’59 – 15 Titres

Redemption & bad habits 2024

 

S’il a toujours gardé au plus profond de lui son âme de rocker, Mister Hardearly a, comme beaucoup de guitaristes de sa génération, amorcé un virage plus orienté blues au fil des années et sorti pas moins de cinq albums studio mais aussi quelques live depuis 2008 pour compléter une carrière musicale longue de trente-cinq années.

Disciple des Johnny Winter, Stevie Ray Vaughan, Jimi Hendrix et autres Jeff Beck, le virtuose qui fut shredder à ses heures, manie l’instrument avec une véritable agilité et a eu tout le loisir de croiser le fer avec des pointures comme ZZ Top, Status Quo, Bernard Allison, Van Wilks ou encore Fred Chapellier, ce qui lui a apporté une crédibilité auprès des médias spécialisés mais aussi d’un public qui lui est désormais fidèle.

De retour cette année avec un sixième opus studio enregistré dans son antre d’El Grotto Studio dans le Val d’Oise en compagnie de Jean Philippe Bernaux à la basse et Frédéric Turban à la batterie mais aussi de quelques batteurs invités comme Sylvain Designe et Olivier Hurtu et des cuivres de Julien Duchet, Mr Hardearly nous délivre un ouvrage qu’il présente comme le plus personnel et le plus introspectif qu’il ait réalisé à ce jour, avec des titres dans lesquels il est question de résilience, de dépression, de mort, d’addictions, de l’amour qui s’envole et de tout ce qui fait que la vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille.

On y croise quelques beaux instrumentaux comme « Redemption & Bad Habits » et « The Miracle », dédié à Jeff Beck, et même deux reprises, le « Tightrope » de Stevie Ray Vaughan et le « Heaven And Hell » de Black Sabbath dédié à l’ami chroniqueur et photographe Alain Betton, des titres qui s’intercalent carrément bien au milieu de pièces originales comme « You Got The Time », « Before You Make Me Going Mad », « I Ain’t Got Nothing But The Blues » ou encore le titre bonus « Just Got Ten Stones Left From Le Havre », autant de morceaux variés qui font de cette nouvelle tartine du guitar hero un très bon moment de blues et de rock à consommer sans modération.

Rock Hardi

 
Rock Hardi
 
Rock Hardi
 
Rock Hardi


Il nous livre un album plein de bonnes vibrations et nous en dit un peu plus sur le processus de création.

 

Comment vas-tu Mr. H ?

Et bien plutôt bien, même si la fatigue se fait ressentir depuis quelques mois car nous enchainons les concerts (70/an) depuis 2 ans avec beaucoup de route pour aller à la rencontre de notre public français. Fatigués mais heureux de ces moments de partage.

 

Ce nouvel album est le sixième depuis les débuts de Mr. Hardearly il y a 16 ans ?

Oui c’est ça. 6ème album studio avec aussi 2 DVD live et 2 CD live audio parus au cours des 16 années d’existence du groupe. Avec le recul je vois le chemin parcouru depuis 2008 avec les différentes équipes qui m’ont accompagnées, et je suis fier du résultat.

 

Combien de nouvelles compositions pour cette dernière production ?

Il y a 15 titres dont 2 reprises (‘Heaven And Hell’ de Black Sabbath et ‘Tightrope’ de SRV) avec des univers différents pour chaque chanson, aussi bien au niveau des textes que de la musique. On passe de blues standard à des titres plus « funky » voire country. J’ai pu acquérir pas mal d’amplis de guitare vintage ces dernières années ce qui m’a permis d’obtenir des sons différents pour chaque morceau. Un vrai plaisir pour enregistrer.

Combien de temps as-tu mis pour créer toutes ces nouvelles chansons ?

Comme j’essaie de ne pas me répéter dans chaque nouvel album je mets de plus en plus de temps pour préparer le prochain CD car je souhaite rester dans la même veine musicale qui a fait mon style tout en essayant de surprendre les auditeurs avec de nouvelles idées, voire de nouvelles ambiances sans les dérouter. Donc cet album m’a presque pris 3 ans de maturation (contre 2 ans d’habitude) car je souhaitais mettre la barre toujours plus haut. Je pense que ce CD est le plus abouti de Mr Hardearly jusqu’ici.

 

Il y a donc deux reprises. Pourquoi justement SRV et Black Sabbath ?

Pourquoi pas ?  Pour Black Sabbath, j’aime bien « détourner » des chansons qui ont bercé mon enfance de leur version d’origine, toujours pour surprendre les auditeurs, et je crois que ma version de ‘Heaven And Hell’ est vraiment « surprenante », non ?  Pour Stevie Ray Vaughan, je me suis rendu compte pour cet album que j’avais enregistré beaucoup de chansons de mes idoles (Hendrix, Beck, Winter…) mais pas de SRV. Alors j’ai voulu pallier ce manque, et puis le titre ‘Tightrope’ colle bien au thème général de l’album.

 

En combien de temps as-tu enregistré cet album ?

Pour les compositions c’est un travail quotidien… de tous les jours. Je note des idées de texte ou de riff de guitare selon l’humeur. Je n’arrête jamais. Par exemple, le titre ‘The Miracle’ a été composé et enregistré en quelques heures à l’annonce du décès de Jeff Beck. C’est venu comme cela, instantanément, comme un ressenti d’un grand moment de tristesse pour un artiste qui m’a vraiment ému artistiquement. Pour les titres ‘Ten Stones Left From Le Havre’ et ‘I’ll Be Killing You’, je les ai composés il y a 12 ans à peu près, mais mon producteur de l’époque n’en voulait pas. Ils sont donc restés en hibernation tout ce temps, et puis je suis retombé dessus il y a quelques mois, et je me suis rappelé des souvenirs liés à ces morceaux et j’ai trouvé qu’ils avaient leur place sur ce CD.

 

Présente-nous les musiciens avec qui tu as travaillé…

A la batterie il y a Fred Turban, un vieux complice depuis 30 ans, qui me fait l’honneur de jouer sur mes derniers albums, à la basse Jean Philippe Bernaux qui m’accompagne sur scène depuis 7 ans maintenant, Roxane (une amie de longue date) qui m’a fait quelques chœurs et Julien Duchet aux trompette et sax. Il y a également Olivier Hurtu à la batterie sur 3 titres avec qui nous avons collaboré.

 

Es-tu toujours fidèle aux vieilles Stratocaster ?

Je vois que depuis le temps, tu me connais bien. Oui bien sûr je joue presque exclusivement sur de vieilles strat Fender des années 60/70 mais j’ai fait une petite infidélité il y a quelques années. J’ai en effet fait l’acquisition d’une Gibson Firebird Sunburst (comme Johnny Winter) que vous pouvez entendre sur l’album et voir sur pas mal de photos sur le site. Je kiffe cette guitare bien que le manche soit radicalement diffèrent de mes strat et surtout les potards ne sont pas placés au même endroit, ce qui me perturbe fortement sur scène les 2 premiers morceaux où je prends cette guitare.

 

Tu joues aussi des claviers… quels genres ?

Oui mais très peu. Rires… Juste quelques nappes par-ci par-là, genre Hammond B3 ou clavinette ou Wurlitzer, pour ambiancer tel ou tel passage d’une chanson. Je ne suis pas « clavier » malheureusement. C’est comme les percus, j’en glisse par-ci par-là pour le feeling.

 

Cette fois encore, tu as tout fait dans ton propre studio. Tu as endossé le costume de producteur, et tu t’es chargé du mixage et du mastering. Est-ce par souci d’économie ou par volonté de tout maîtriser ?

Ce n’est pas vraiment un choix, c’est juste que personne « ne veut s’y coller à ma place ».

J’ai déjà fait mixer des albums par d’autres ingé-son mais au final, bien que le son soit plus « gros », les musiciens et moi on ne se reconnaissait pas dans la sonorité finale. Donc je m’occupe de tout en attendant de tomber sur la perle rare qui saura respecter notre identité musicale et sonore. J’aime ce son vintage que j’obtiens dans mon studio, à la fois écoutable sur du matériel moderne, mais où on retrouve le son seventies que j’adore, et qui pourrait sembler vieillot pour certains, mais c’est un choix délibéré de retrouver cette ambiance sonore.

Tu livres tes albums comme un produit fini à un distributeur, est-ce une prise de risque financière importante ?

Plus vraiment. Ça l’a été il y a 10 ans, mais depuis que je travaille avec Alain Ricard de Brennus Recors (Rebel Music) et Socadisc, je ne prends plus aucun risque car le deal est très honnête et je continue de tout maitriser et d’avoir la main sur la distribution. J’ai la chance depuis quelques année de pouvoir « rentabiliser » les CD en moins d’un an, ce qui est très confortable en tant que producteur, et j’en profite pour remercier tous nos fans qui nous sont fidèles à chaque sortie d’album pour les commander sur notre site (www.hardearly.com) même avant leur sortie officielle.

 

Tu dédies cet album à un grand nombre de guitaristes de renom comme Johnny Winter, Frank Zappa, Jimi Hendrix, Lemmy Kilmister, Eddie Van Halen, SRV et Jeff Beck et puis tu cites aussi Jacques Higelin. Pourquoi ? Son nom déroute un peu parmi les autres.

Je cite ces guitaristes, car ils sont comme mes pères spirituels. Ils m’ont tant inspiré ! Higelin, j’ai grandi avec sa musique, notamment le ‘Live à Mogador’, et je ne pouvais pas ne pas le citer. Un grand poète et, bien que je risque d’en choquer certains, une personne qui avait vraiment le blues en lui comme Edith Piaf. Il fait partie de mon ADN. Il est parti beaucoup trop tôt.

 

Tu surprends l’auditeur avec bonheur en t’éloignant un peu de ton style habituel avec deux titres ‘I’ll Be Killing You’ et ‘Just Got Ten Stones Left From Le Havre’. Pourquoi ce pas de côté ?

C’est marrant que tu parles de ces 2 titres. Comme je le disais avant, je les ai composés il y a 12 ans et je trouvais que c’était le moment de les intégrer à cet album. Dans l’avant dernier album il y avait un titre qui s’appelle ‘CC (The Mean Guy)’, une chanson sur Caryl Chessman que j’avais écrite il y a bientôt 15 ans. C’était une maquette que je n’avais jamais réenregistrée. Et puis je suis retombé dessus il y a quelques années et on a juste remplacé la basse/batterie qui était des synthés par de vrais musiciens, je n’ai ni refait les guitares acoustiques, ni les voix et il a trouvé sa place dans le CD. Le livre de Caryl Chessman (Cellule 2455, couloir de la mort) a marqué mon adolescence et je voulais lui dédier une chanson. Parfois tu composes un titre 15 jours avant l’enregistrement de l’album, et parfois tu mets 15 ans à te décider à le publier. C’est aussi ça l’inspiration. 

 

Parle-nous de ta collaboration avec Thierry Wakx qui a créé un très beau digipack…

Thierry, et Pascale sa femme, ça a été une très belle rencontre bien que fortuite. Je faisais un concert caritatif avec Fred Chapellier et j’ai reçu les photos de Thierry. J’ai réalisé à ce moment-là quel magicien il était pour capturer l’instant idéal pour une photo et comment il mettait les artistes en valeur. Je me suis donc rapproché de lui pour de futurs projets et on ne s’est plus quitté depuis. D’où son surnom Thierry « Magic » Wakx. Il a fait un travail extraordinaire sur notre dernier disque, ce qui en fait un très bel objet. Grand merci à lui.

 

Une fois encore tu es distribué par Socadisc, ce qui signifie une large exposition dans les grands circuits… Est-ce que ça booste les ventes ?

Tu sais les ventes de CD s’écroulent année après année. Le CD est devenu un support de promo pour les concerts à venir alors qu’avant c’était le contraire. C’est pour cela que beaucoup d’artistes, pour ne pas dire tous, font des albums avec des budgets réduits et que les places de concert atteignent des prix « gastronomiques ». On gagne notre vie avec les concerts, plus du tout avec les ventes de CD. Donc exposition médiatique oui… pour les ventes je reste plus dubitatif.

Est-ce encore rentable de sortir un CD de nos jours ?

Oui si on considère que ce qui nous fait vivre, nous les musiciens, ce sont les concerts. Les CD sont de bons supports promotionnels mais on essaie juste de les rentabiliser et de ne pas perdre d’argent sur la fabrication en tant que producteur. On ne gagne plus d’argent sur les ventes de CD depuis plusieurs années maintenant (sic).

 

Tu as fait le choix de ne pas mettre l’album sur les plateformes de téléchargement. Pourquoi ?

Quand je vois ce que ça me rapporte en tant qu’auteur, compositeur et producteur je préfère vendre un téléchargement à 9.90 € sur mon site plutôt que 25000 personnes écoutent mon album tous les jours pendant un mois pour 1.30 €. C’est malheureusement la réalité du business des plateformes de téléchargement qui s’en mettent plein les poches au détriment des artistes.

 

Tu tournes toujours beaucoup un peu partout en France et en Belgique, est-ce un circuit bien rôdé ou arrives-tu a décrocher de nouveaux lieux de concerts ?

Je suis en perpétuelle recherche de nouveaux lieux où se produire car malheureusement beaucoup d’endroits ont mis la clé sous la porte depuis le covid et il faut renouveler sans cesse le circuit des tournées. Nous avons cette chance d’avoir un bon capital sympathie au niveau des programmateurs et du public qui nous permet de maintenir, jusqu’à présent, le nombre de dates par an.

 

Le Brexit a semble-t-il mis un point d’arrêt à tes tournées anglaises qui étaient assez régulières. Qu’en est-il ?

Oui ce n’est pas faux. J’espère que notre agent anglais, Howard Baker, pourra nous organiser une ultime tournée en Angleterre car j’adore ce pays, qui m’a adopté il y a maintenant 40 ans.
C’est que la crise est aussi passée par-là pour eux.

 

Tu avais envisagé de faire un jour un album entièrement acoustique, est-ce toujours dans tes projets ?

J’ai vraiment beaucoup de projet en gestation, mais de là à les rendre « viables » c’est une autre histoire. Un album acoustique, voire de reprises uniquement, j’aimerais beaucoup, mais est ce que le public se déplacera pour venir voir la tournée qui suivra c’est une autre question. Il faudrait, pour me faire plaisir, que je sorte cet album sans but de concert (ou très peu). Cela pourrait bien venir dans les années qui viennent car j’ai déjà pas mal de chansons enregistrées. Il faut juste que je trouve le temps des finaliser le CD et de trouver un producteur pour le sortir.

 

Gilles Blampain – Decembre 2023